Iphigénie en Tauride de Gluck à l’Opéra-Comique vu avec et par l’ami Cyril (à quatre mains)
Avant, il y avait la musique d’un côté, la parole de l’autre. Le bel canto et la tragédie lyrique… mais ça c’était avant. Avant Gluck, sa réforme et son chef-d’oeuvre, Iphigénie en Tauride. Un spectacle complet, comme ce soir à Favart devant une salle scotchée de bout en bout.
Pour que la salle fasse corps et la soirée parle à tous, Wajdi Mouawad nous propose un prologue. Un diaporama vif et impactant égrène les faits et chiffres de la Guerre de Troie comme pour un conflit moderne. Le raccord avec l’ouverture de la première Iphigénie de Gluck, en Aulide joué par la fosse est parfait et bluffant. Favart suspend son souffle au récit imagé et brutal du dernier épisode de l’histoire des Atrides avant son épilogue.
Un court intermède théâtral nous conduit de nos jours dans un musée en Crimée. Devant un tableau au rouge dominant, le directeur russe du musée expédie, hautain, deux Grecs venus réclamer des statuettes volées à leur pays. Plus tard, les mêmes acteurs-chanteurs camperont Thoas (le directeur), Oreste et Pylade (les deux Grecs). L’assistante du directeur se révélera elle en Iphigénie ; son frère est l’auteur du tableau qu’alimentent des poches de sang. Comme le mythe remis à notre portée, l’opéra objet d’art retrouve son cadre et sa vie, son sens et son actualité. Les liens du sang déchirés par la guerre qui déracine et le pouvoir qui isole.
Le musée s’écarte sur un décor uniforme pour les quatre actes. Trois parois sombres aux motifs noirs s’ouvrent sur la scène où trone un monolithe tout aussi sombre qui avance ou recule au fil de la soirée. Au début, Iphigénie y immole les étrangers sacrifiés pour sauver le roi, leur sang le macule de rouge. La mise en lumière somptueuse fait vivre activement la scénographie au cadre intemporel et saisissant.
Avec des mouvements individuels sobres et des figures de groupes signifiantes et marquées, le plateau dirigé avec soin, solistes et choeurs, forme aussi un excellent ensemble lyrique. Jean-Fernand Setti est un Thoas implacable, au timbre profond et sonore. Philippe Talbot est un Pylade à la voix limpide, au timbre pur et solaire, un ami d’Oreste éploré et touchant. Oreste est interprété par le baryton américain Théo Hoffman. Comme tous ce soir, sa prononciation est impeccable. La portée est large, le timbre clair et l’investissement scénique remarquable ; le second acte le voit en particulier se dévêtir et continuer à chanter avec une aisance remarquable.
La sœur d’Oreste, Iphigénie, est campée par la grande révélation de la soirée, la soprano franco-algérienne Tamara Bounazou. Tant vocalement que scéniquement, elle éclabousse le plateau par son assurance et son énergie. Le timbre est d’une grande pureté, elle monte aisément dans ses aigus cristallins et se montre irréprochable dans de magnifiques legato la conduisant à des pianis sensibles et délicats. Cruelle et barbare quand elle occit les étrangers, on la retrouve sur le final douce et fragile quand elle reconnait son frère. Elle récolte de formidables ovations aux saluts.
C’est aussi le cas de Louis Langrée, qui dirigeait sa dernière représentation avant de passer la main pour les suivantes. Il maitrise parfaitement la partition et laisse exhaler de l’orchestre de merveilleuses sonorités sortant d’instruments d’époque, entraînant tant avec fougue que délicatesse des musiciens parfaitement en phase avec les chœurs et les solistes. Un magnifique spectacle longuement applaudi par un public conquis et enthousiaste.
Tragédie lyrique en quatre actes de Christoph Willibald Gluck
Livret de Nicolas-François Guillard
Représentée pour la première fois à l’Académie royale de musique (Paris) le 18 mai 1779
Version Opéra-Comique 2025 : l’ouverture d’Iphigénie en Aulide est jouée avant un prologue parlé écrit par Wajdi Mouawad.
Mise en scène et texte : Wajdi Mouawad
Dramaturgie : Charlotte Farcet
Scénographie et création du tableau Le Sacrifice d’Iphigénie : Emmanuel Clolus
Costumes, coiffures, perruques, maquillage : Emmanuelle Thomas
Chorégraphie : Daphné Mauger
Lumières : Éric Champoux
Concepteur son : Michel Maurer
Assistant à la direction musicale : Liochka Massabie
Collaboration artistique à la mise en scène : Valérie Nègre
Directrice d’intimité : Stéphanie Breton
Assistant aux costumes : Jérémy Bauchet
Assistante aux décors, stagiaire : Clara-Louise Daumas-Richardson
Iphigénie : Tamara Bounazou
Oreste : Theo Hoffman
Pylade : Philippe Talbot
Thoas : Jean-Fernand Setti
Diane / Deuxième prêtresse : Léontine Maridat-Zimmerlin
Une femme grecque / Première prêtresse : Fanny Soyer
Un Scythe / Un ministre du sanctuaire : Lysandre Châlon
Comédien : Anthony Roullier
Voix annonce du musée : Daria Pisareva
Directeur des études musicales : Benoît Hartoin
Pianiste cheffe de chant : Ayano Kamei
Chef de chœur : Joël Suhubiette
Orchestre : Le Consort
Chœur : Les éléments
Direction musicale : Louis Langrée (du 2 au 6 nov.) / Théotime Langlois de Swarte (du 8 au 12 nov.)
Production : Théâtre national de l’Opéra Comique – Page officielle
Co-production : Les Théâtre de la Ville du Luxembourg, Opéra national du Capitole – Toulouse – Mairie et Métropole
Construction des décors : Théâtre national de La Colline
Représentation du jeudi 6 novembre 2025 à 20h, Salle Favart

