Nous y voilà. Après un Or du Rhin plus brillant par ses voix que sur la scène, place à la 1ère journée de l’Anneau. Si le Data Center façon Blackbox du prologue forme toujours l’unique décor, l’ouverture de ses différents espaces pour accueillir l’action est plus heureuse. Elle sert mieux les voix et les personnages, le point fort de cette soirée bien applaudie mais sans metteur en scène aux saluts. Un Calixto Bieito qui illustre la suprématie chez Wagner du drame, de la partition et de l’action sur le reste de la production en général et des décors en particulier. Tant mieux pour le spectateur qui ce soir fermerait les yeux sans rien ou très peu perdre au change.
De l’inceste à la séparation, les acteurs de cette Walkyrie forment un plateau vocal et scénique de haute volée. Les caractères sont forts, très réussis et bien dirigés. Un éloge dramatique qui écarte toutefois la performance athlétique des soeurs de Brünnhilde. Leur cavalcade tant attendue par la salle encore comble au 3ème acte laisse perplexe. La descente en rappel du Blackbox emprunte en effet plus à un ballet de laveurs de vitres ou à un raid du GIGN qu’à une chevauchée fantastique.
Stanislas de Barbeyrac et Elza van den Heever, les amants jumeaux du soir, font un couple tendre, voluptueux et fusionnel apte à semer l’amour et la révolte dans un monde dystopique où les dieux sont tombés sur l’IA et les robots domestiques. Le ténor savoyard prête son timbre pur et soyeux, une ligne altière et un port sobre et mélancolique à un Siegmund émouvant et enchanteur. De l’épouse soumise et craintive du début du 1er à la future mère de Siegfried, la soprano sud-africaine elle, puise dans son passé de mezzo les graves qui déchirent et ceux qui séduisent. Son cri d’amour pour son futur fils et Brünnhilde montre un aigu tout aussi puissant et lyrique, sommet de la soirée avec les adieux de Wotan.
Christopher Maltman dispose lui aussi de toute la palette liée à son rôle : le grave et les éclats, la retenue et la projection et aussi et surtout la beauté du timbre pour le plus bel air de la partition. Il est un dieu dépassé par ses lois, un mari dépassé par ses écarts et un chef de troupeau, un père trompé et vaincu par ses sentiments. Sa
Fricka, sèche et déchirée, a l’apparence de l’emploi mais aussi le caractère souverain et la voix intense d’Ève-Maud Hubeaux, le mari trompeur ne perd rien pour attendre ! Le Hunding de Günther Groissböck, brutal et martial à souhait, belliqueux et soumis lui aussi à son maître – oh le gentil toutou ! -, offre un bras armé fort à Wotan et une belle opposition à son fils terrestre.
Après ses Turandot et Beatrice di Tenda in loco, Tamara Wilson trouve dans la jeune Brünnhilde de la première journée – le rôle couvre les trois – son incarnation vocale la plus forte. De la déesse fifille à son papa à l’ado révoltée au grand coeur, la soprano américaine déploie une vocalité insolente et naturelle. Le ton est noble, le timbre plein et vaillant a le tranchant de l’acier et la chaleur de la chair, l’émission est claire et le triomphe total aux saluts.
Chez Wagner, le drame et l’évolution des caractères se tisse aussi, comme celle des motifs, dans la fosse. Uni, clair et précis, l’orchestre de l’Opéra délivre toutefois plus de nuances que d’énergie. La baguette souple et limpide de Pablo Heras-Casado se fera peut-être plus libre, dynamique et incisive au fil des soirées et de ce Ring.
Cette première journée marque par sa grande cohérence humaine, vocale et musicale. Maintenant, seul l’intérêt pour les voix et les personnages pourrait inciter à suivre ce Ring sur une semaine comme le proposeront deux festivals en 2026.
La Walkyrie
PREMIÈRE JOURNÉE EN TROIS ACTES DE L’ANNEAU DU NIBELUNG (1870)
Musique et livret : Richard Wagner
Direction musicale : Pablo Heras-Casado
Mise en scène : Calixto Bieito
Décors : Rebecca Ringst
Costumes : Ingo Krügler
Lumières : Michael Bauer
Vidéo : Sarah Derendinger
Dramaturgie : Bettina Auer
Siegmund : Stanislas de Barbeyrac
Wotan : Christopher Maltman
Hunding : Günther Groissböck
Sieglinde : Elza van den Heever
Brünnhilde : Tamara Wilson
Fricka : Ève-Maud Hubeaux
Gerhilde : Louise Foor
Ortlinde : Laura Wilde
Waltraute : Marie-Andrée Bouchard-Lesieur,
Schwertleite : Katharina Magiera
Helmwige : Jessica Faselt
Siegrune : Ida Aldrian
Grimgerde : Marvic Monreal
Rossweisse : Marie-Luise Dreßen
Orchestre de l’Opéra national de Paris
L’ensemble des décors et des costumes de la production a été développé par les ateliers de l’Opéra national de Paris.
Paris, Opéra Bastille – Représentation du mardi 11 novembre 2025, 18:30
La Walkyrie sera enregistré par France Musique pour diffusion le 24 janvier 2026 à 20h dans l’émission “Samedi à l’Opéra” présentée par Judith Chaine puis disponible en streaming sur le site de France Musique


