Pour finir l’annĂ©e lyrique en beautĂ© l’ami Cyril a vu La Force du Destin Ă Bastille. Et il a aimĂ©. DĂ©jĂ vue en 2019, cette production de Jean-Claude Auvray revient Ă Paris pour clĂŽturer lâannĂ©e. Toujours aussi sobre, voire minimaliste, la mise en scĂšne (revisitĂ©e par Stephen Taylor) est rĂ©solument orientĂ©e pour donner la part belle aux chanteurs. Les dĂ©cors sont en effet trĂšs pauvres : vaste plateau nu et scĂšne inclinĂ©e, sur laquelle quelques accessoires prĂ©cisent le cadre de lâaction (qui se dĂ©roule sur une dizaine dâannĂ©es). Les costumes sont rĂ©ussis et surtout la mise en lumiĂšre est magnifique. Quelques scĂšnes en clair-obscur rappellent un tableau de Georges de la Tour ! Les protagonistes sont peu dirigĂ©s et viennent Ă l’avant-scĂšne dĂ©clamer leurs arias â il est vrai que la quasi-absence de dĂ©cors rend compliquĂ©e la projection vocale en fond de plateau. Le succĂšs de ce spectacle repose donc essentiellement sur les artistes lyriques, et nous ne sommes pas déçus ! Lâensemble des seconds rĂŽles est dâexcellente qualitĂ©, avec mention spĂ©ciale Ă Nicola Alaimo dont le Fra Melitone truculent au timbre Ă©lĂ©gant apporte une dose lĂ©gĂšre Ă une intrigue reposant essentiellement sur la malĂ©diction et la vengeance mortelle. TrĂšs belle Elena Maximova dont la pĂ©tulante Preziosilla, active sur scĂšne, fait claironner ses aigus lumineux. Et sombre Ferruccio Furlanetto qui incarne un Padre austĂšre Ă la voix basse projetant son timbre grave tout au bout des travĂ©e de Bastille. Quant au trio principal, il est remarquable. En Don Alvaro, Russell Thomas fait ses dĂ©buts Ă Paris, et le succĂšs est au rendez-vous. Le timbre est limpide, la ligne de chant rectiligne mĂȘme sâil semble parfois au bord de la rupture. LĂ©gĂšrement empruntĂ© sur scĂšne, il parvient cependant Ă Ă©mouvoir en amant Ă©prouvĂ© par le destin et en quĂȘte de rĂ©demption. Ludovic TĂ©zier est toujours aussi exceptionnel. Son Don Carlo plein dâautoritĂ© est portĂ© par une prĂ©sence scĂ©nique affirmĂ©e. Le baryton dispose de puissants moyens et dâune rĂ©sistance sans faille. Le timbre est chaud, la technique vocale imparable, lui permettant dâassurer de sublimes lĂ©gatos et des vocalises de grande amplitude. Enfin, Ă©galement pour une premiĂšre Ă Paris, Anna Pirozzi campe une Leonara qui fera date. TrĂšs Ă lâaise sur toute sa tessiture, des panis dĂ©licats aux aigus flamboyants elle sait apporter les nuances nĂ©cessaires Ă lâincarnation du rĂŽle. La scĂšne de son adoubement dans le cloitre est magnifique et dĂ©chirante, tout comme celle des adieux finaux Ă Don Alvaro oĂč, blessĂ©e mortellement, elle accorde son pardon dans un souffle filĂ© et pathĂ©tique. Les chĆurs de Ching-Lien Wu sont magnifiques Ă©galement, en parfaite osmose avec les solistes et la fosse. Cette derniĂšre est occupĂ©e par un Jader Bignamini en grande forme tout comme lâorchestre de lâOpĂ©ra de Paris. DĂšs lâouverture (situĂ©e dâailleurs aprĂšs la premiĂšre scĂšne) il imprime lâĂ©nergie et la dĂ©licatesse que nĂ©cessite la partition. On remarque de trĂšs jolis solos (clarinette, violon, cor) et une formation Ă lâunisson, qui obtiendra de longs applaudissements. Tout comme lâensemble des artistes, saluĂ©s comme il se doit par une salle comble â et comblĂ©e manifestement pour une des derniĂšres soirĂ©es dâopĂ©ra de lâannĂ©e : un coup du destin rĂ©ussi avant les douze coups de minuit !
La Force du destinMelodramma en 4 actes (1862)
Musique : Giuseppe Verdi
Livret : Francesco Maria Piave
Direction d’orchestre : Jader Bignamini Mise en scĂšne : Stephen Taylor DĂ©cors : Alain Chambon ChorĂ©graphie : Terry John Bates
LumiĂšres : Laurent Castaingt Direction de choeur : Ching-Lien Wu Costumes : Maria Chiara Donato~
Il Marchese di Calatrava (Marquis de Calatrava) : James Creswell
Donna Leonora : Anna Pirozzi
Don Carlo di Vargas : Ludovic Tézier
Don Alvaro : Russell Thomas
Curra : Julie White Pasturaud
Preziosilla : Elena Maximova
Un alcade : Florent Mbia
Mastro Trabuco (MaĂźtre Trabuco) : Carlo Bosi
Padre guardiano (PĂšre Guardiano) : Ferruccio Furlanetto
Fra Melitone (FrÚre Mélitone) : Nicola Alaimo
Orchestre de lÂŽOpĂ©ra national de Paris ChĆurs de lâOpĂ©ra national de Paris Co-production avec Gran Teatro Del Liceu Paris,
Opéra Bastille Soirée du mardi 27 décembre 2022 | 19:00