La Vestale de Spontini à Bastille

Paris, 1807 : Gaspare Spontini en France depuis 4 ans est déjà le musicien favori de Joséphine. Avec La Vestale, il devient aussi celui de son mari qui découvre l’opéra en avant-première privée. La tragédie lyrique de Spontini célèbre l’Empire et l’amour bourgeois. On peut commander au monde sans être un tyran et épouser une jeune fille de la haute même si on est roturier. De quoi plaire à l’Empereur ! La Vestale sera jouée plus de 200 fois sur la scène nationale où elle fait son retour cet été après 150 ans d’absence.

Produite deux fois seulement ces dix dernières années à Paris – les deux fois au TCE, la dernière en version de concert et parue au disque – La Vestale pose une question : comment monter aujourd’hui un ouvrage néo-classique à la gloire de Napoléon ? La réponse de Lydia Steier est claire et sa vision, la nôtre aussi depuis la salle, limpide : il suffit d’en changer et le début et la fin.

À l’ouverture, le retour de Licinius de la guerre où il est allé chercher les honneurs pour épouser une noble fille est loin d’être glorieux. Pochardisé devant un mur où un graffiti déclame “tel est l’ordre de Dieu” il n’en mène pas large. Encore moins quand il apprend que sa belle a promis à son père mourant de devenir vestale. Il la voyait plus nourrir sa flamme que celle de la déesse ! À vous de découvrir la suite car oui, il faut voir et entendre cette Vestale très réussie.

Critique violente des vœux religieux arrachés aux filles par leur père, l’œuvre fait le pont entre la tragédie lyrique à la Lully et l’opéra romantique fin de Rossini – l’opéra c’est comme le foot, les Italiens ont la recette mais à la fin, c’est la France qui gagne, en tout cas on l’espère ! La jeune femme prise entre le devoir et l’amour inspire à Spontini des pages où l’instinct parle plus que la science pour partager les émotions. Des pages qui vont en inspirer d’autres : “Pas une seule note écrite ce siècle qui n’ait été copiée sur ma Vestale” dit Spontini en 1844 à Wagner, qui ne le dément pas et reprend certaines de ces cellules dans ses leit-motiv pour le Ring.

La mise en scène de Lydia Steier sert à la perfection cet opéra à l’impérial efficace, soucieux de grand spectacle comme de naturalisme, en un mot, de théâtre. Le mur de l’ouverture coulisse et découvre par alternance une Sorbonne dystopique où le culte de Vesta scelle l’union du glaive et du goupillon. Des hommes en noir et des servantes écarlates. Puissant et captivant. Comme la vidéo qui projette la psyché de Julia sur la coupole du décor profond. Le joug et la violence d’un tyran totalitaire exacerbe et sublime la misère et l’esclavage d’une vie volée par la volonté d’un père, comme la vie et la volonté de son propre peuple, pris au piège de la propagande et des jeux de pouvoir, politiques et religieux.

Le plateau vocal homogène sert aussi bien la partition que le livret. Julien Behr est un ami du héros au timbre affûté, l’émission claire, la ligne souple et, comme tous ce soir, la diction parfaite. Son Cinna épouse à la perfection tous les états et partenaires que partition et soirée lui réservent. Jean Teitgen souverain pontife au timbre royal, est sombre, solennel et coulant à souhait. Le chef des Aruspices et un consul ont les traits et la voix musclés et imposante de Florent Mbia. Comme Lydia Steier pour la mise en scène Michael Spyres apporte une réponse claire et sans appel à la question de la tessiture du héros, devenu baryton dans l’édition critique. Timbre doré, phrasé pur, variations jouées, nuances infinies et naturelles : tout y est. Le baryténor est tout simplement fabuleux. Du grand art et le maillon rêvé entre baroque et romantique.

Deux femmes seulement sur le plateau en dehors des chœurs, mais quelles femmes ! Eve-Maud Hubeaux EST la Grande Vestale. Elle dote son personnage, fanatique et autoritaire, sadique et manipulateur, d’une voix puissante au timbre riche et velouté : oui, on peut conjuguer force et suavité ! Dès la première Elodie Hache annoncée comme doublure et programmée sur deux dates, a remplacé Elza van den Heever souffrante. Son brio nous emporte comme sa voix et son jeu. Le timbre sonne encore plus rond et chaud à nos oreilles que celui de Ermonela Jaho en 2013 au TCE. La voix souple épouse tous les hauts et les bas d’une Julia que la partition gâte, tout particulièrement dans le 2ème acte où sa palette dessine et colorie un immense crescendo. Sa belle présence sert aussi parfaitement la mise en scène.

Et si le personnage principal de cet opéra était aussi très bien servi ce soir ? Le sort du peuple, sa liberté et son destin sont au cœur de la production. Eh bien le chœur de l’Opéra s’en empare à merveille. Et là aussi, inutile de suivre le livret pour saisir tous les mots. Intensité et clarté sont là.

À l’orchestre, les timbres jouent la variété et nous enveloppent : cor solo, hautbois, harpes… la fosse est parfaite, soudée à la scène par un Bertrand de Billy attentif et prévenant, au moindre souffle, au moindre départ. Pourquoi ne pas accentuer dès lors certaines nuances et contrastes pour gagner encore en effets ? Peut-être cela ferait-il trop pompier ? Eh bien même, cela viendra avec les soirées !

Aux saluts, le public fait un triomphe à Julia venue seule devant le rideau baissé. Avant d’accueillir de la même manière tous les acteurs de cette production. Les rares sifflets pour la mise en scène entendus après le 1er acte se sont tus, à raison, depuis. Cette Vestale a autant de quoi plaire que faire réfléchir. Y compris et surtout par son miracle final. À voir !

La Vestale

Tragédie lyrique en 3 actes (1807)

Musique : Gaspare Spontini (1774-1851)

Livret : Victor-Joseph Étienne de Jouy

Production : Opéra national de Paris

Direction musicale : Bertrand de Billy

Mise en scène : Lydia Steier

Distribution

Licinius : Michael Spyres – BariTenor

Cinna : Julien Behr – Tenor

Le Souverain Pontife : Jean Teitgen

Julia : Elodie Hache

La Grande Vestale : Eve-Maud Hubeaux – Mezzo

Le chef des Aruspices, un consul : Florent Mbia

Équipe artistique

Cheffe des chœurs : Chin-Lien Wu

Décors : Etienne Pluss

Costumes : Katharina Schlipf

Lumières : Valerio Tiberi

Dramaturgie : Olaf A Schmitt

Ensemble

Orchestre de l’Opéra National de Paris

Chœurs de l’Opéra national de Paris

Paris, Opéra Bastille – Soirée du mercredi 19 juin 2024 – 19:00

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